La vente de Rafale à l’Indian Navy remet-elle le projet à l’ordre du jour ?

Photo de couverture © Dassault Aviation – C. Cosmao.

Pas de Rafale biplace pour la Marine française

L’histoire d’un biplace embarqué n’est pas nouvelle. Au début des années 2000, le magasine Air Fan évoque “… 40 Rafale biplace pour la Marine … le M15 sera un “BM” …”. Dans les faits, la France envisage de doter la Marine française de 60 appareils, dont 35 biplaces à échéance 2014 !

D’un point de vue stratégie d’emploi, dans les années 90 l’Armée de l’Air compte disposer d’une version biplace “C2” (Command and Control). Cependant, suite aux opérations du Kosovo en 1999, elle s’oriente vers un biplace “tactique”, dont le Navigateur Officier Système d’Armes (NOSA) aura pour objectif de soulager la charge de travail du pilote.

De son côté, la Marine privilégie une version monoplace en binôme aux côtés des E-2C Hawkeye. Etonnamment, elle évoque même la possible “incompatibilité” de deux membres d’équipage pour certaines tâches, “parasitant” le processus de décision. Sur le plan technique, la version “Marine” accuse déjà un surpoids de 600 kg par rapport à la version “Air”. Un biplace pèserait alors dans les 200 kg supplémentaires, compte tenu du second siège éjectable et divers renforts structuraux. En conséquence, pour limiter le surpoids à 800 kg, le canon serait probablement à retirer, ainsi que 215 kg de carburant. Elle conclue donc à plusieurs reprises (1991 et 2000) à l’inutilité d’une version biplace. Finalement, la Marine Nationale abandonne le projet “Rafale BM ou N” en septembre 2004.

Le saviez-vous ? Initialement, la Marine demandait une perche de ravitaillement en vol rétractable. Cependant, pour des raisons de coûts, légèreté et fiabilité, la perche sera fixe et positionnée à droite pour dégager la visibilité lors de l’appontage. Au passage, une perche plus légère permet de gagner quelques précieux nœuds à l’appontage.

Rafale Marine biplace
Rafale Marine et avion de guet E-2C Hawkeye sur le pont du porte avions Charles de Gaulle © Chasse Embarquée
La question de la qualification à l’appontage

Suite à l’acquisition par l’Indian Air Force de 36 Rafale, c’est désormais à l’Indian Navy d’envisager de remplacer ses Mig-29 par des Super Hornet américains ou des Rafale français. Toutefois, il semble que l’Inde exprime le besoin de disposer de quelques (8 ?) appareils biplaces parmi les 26 avions relevant de l’appel d’offre. S’agit-il de pourvoir à l’entrainement des pilotes, ou d’une nécessité opérationnelle ?

Concernant l’entrainement, on pourrait imaginer que l’Inde puisse fonctionner de la même manière que la France. Dans ce cas, les pilotes de l’Indian Navy pourraient alors bénéficier des 8 Rafale biplaces de l’Indian Air Force. Toutefois, la France qualifie à l’appontage ses pilotes aux Etats-Unis, sur T-45C, faute d’un avion d’entrainement (biplace) navalisé. Les Rafale biplaces de l’Armée de l’Air ne sont donc qu’un complément à la formation initiale des pilotes de l’aéronavale française. A cela s’ajoute bien entendu l’usage des simulateurs de vol.

Il en est autrement en Inde. En effet, tous les pilotes de chasse rejoignent d’abord l’INAS 551 (Indian Naval Air Squadron) pour suivre l’instruction navale de base. Ils volent alors sur Hawk 132, un appareil non navalisé. Ensuite, ils sont sélectionnés pour la conversion sur Mig-29K/KUB au sein de l’INAS 300. A l’issue, ils sont nommés dans l’escadron opérationnel INAS 303 évoluant également sur Mig-29K/KUB. La conversion opérationnelle sur Mig intègre la formation au combat aérien, la mise en œuvre des armements, le ravitaillement en vol et surtout, la qualification à l’appontage. En conséquence, les Mig sont les seuls appareils participant à la qualification à l’appontage des pilotes. Sauf à vouloir changer sa méthode de formation, l’Inde doit donc pouvoir remplacer ses Mig par un appareil offrant les mêmes capacités.

Mig-29K
Les Mig-29K/KUB disposent d’une cellule strictement identique en apparence. Ainsi, la verrière du cockpit est similaire. L’emplacement du second siège éjectable étant remplacé par un réservoir supplémentaire de carburant de 630 litres sur la version monoplace.
Avantage Super Hornet ?

De même, si le besoin de l’Indian Navy est opérationnel, la question d’un Rafale Marine biplace se pose. De ce point de vue, l’avantage est au Super Hornet qui dispose déjà d’une version biplace, mais également biplace de guerre électronique. Celle-ci affichant d’ailleurs une augmentation de masse de 800 kg, pour plus de 15 tonnes à vide.

Contrairement à la France, la marine américaine exploite pleinement les appareils biplaces.

Par le passé, il s’agissait entre autre, des F-4 Phantom ou mythiques F-14 Tomcat. Sur ces appareils, l’officier en place arrière portait la dénomination de RIO : Radar Intercept Officer. Il assurait à la fois la navigation, l’usage essentiel du radar et la mise en œuvre de missiles air-air longue portée tels que l’AIM-54 Phoenix. De la même manière, l’A-6 Intruder, l’A-3 Skywarrior ou l’A-5 Vigilante bénéficiaient d’officiers navigateurs.

De nos jours, cette préférence à un équipage double perdure. Outre les 172 EA-18G Growler équipant 16 escadrons de l’US Navy, celle-ci met en œuvre également 10 escadrons exclusivement équipés de F/A-18F et 23 escadrons composés de monoplaces ou d’appareils mixtes pour l’entraînement.

Rafale Marine biplace
En mai 2022, un Rafale marine en formation avec un F/A-18E Super Hornet du Strike Fighter Squadron (VFA) 211 © U.S. Navy
Vers un Rafale marine biplace ?

Qu’en est-il aujourd’hui ? Dans les faits, les versions “Air” et “Marine” du Rafale partagent 80% de composants communs. Par ailleurs, si la France n’a pas souhaité donner suite à cette version, rien n’indique que le chantier est impossible. Comme évoqué précédemment, moins de carburant et le retrait du canon pourraient compenser l’ajout d’un second siège éjectable. Pour obtenir une version d’entraînement du Rafale Marine, les concessions sembleraient minimes.

Le raisonnement reste simpliste … Quand bien même l’opération serait possible, sous quels délais Dassault Aviation pourrait alors faire aboutir une telle version ? Si les études réalisées du temps des prototypes M01 et M02 s’avéraient suffisantes, il faudrait néanmoins mener une conséquente compagne d’essais au sol et en vol. Qui plus est, la décision de l’Inde concernant le remplacement de ses Mig-29 semble se profiler d’ici à cette fin d’année.

D’autres sujets pourraient œuvrer en faveur d’une telle version. En effet, les Etats-Unis semble s’intéresser à un successeur du T-45C qui ne serait pas nécessairement en mesure d’apponter sur un porte-avions. L’appareil serait simplement assez robuste pour supporter les touch and go sur le pont d’envol ou des ASSP. Les prétendants sont multiples : T-7A de Boeing / Saab, T-100 (dérivé du M-346) de Leonardo, ou T-50A de Lockheed Martin / KAI. C’est d’ailleurs la solution que semble vouloir adopter la Chine avec son JL-9. Aux Etats-Unis, le Super Hornet biplace pourrait alors assurer la formation des pilotes à l’appontage. Ainsi, la France pourrait être contrainte à repenser la formation de ses pilotes.

Rafale Marine biplace
Rafale B de l’Armée de l’Air. Le Rafale marine existera-t-il un jour en version biplace ? © Dassault Aviation
FA-18F Super Hornet
2018 : un F/A-18F, version biplace du Super Hornet, appartenant à la VFA-2 Bounty Hunters © US Navy
EA-18G Growler
Un EA-18G Growler, version guerre électronique du Super Hornet se pose au Japon en 2017 © US Navy
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