30 avril 1993, le prototype du Rafale biplace décolle pour la première fois d’Istres.
Photo de couverture © Dassault Aviation via François ROBINEAU (Rafale, les ailes du futur aux éditions Le cherche midi éditeur).
Jean FRÉMOND rencontre Jean-Marie SAGET
Né en 1948, Jean FRÉMOND poursuit des études d’ingénieur au sein de l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications. Par la suite, il effectue son service militaire à Salon de Provence où il pratique le planeur. En 1973, il rejoint l’Armée de l’Air et devient pilote de chasse et de reconnaissance après avoir suivi le cursus de formation en passant successivement à Tours puis Cazaux. Il poursuit sa carrière à Entzheim où il vole sur Mirage IIIR et Mirage IIIRD au sein des Escadrons de Reconnaissance 1/33 “Belfort” et 3/33 “Moselle” entre 1974 et 1979.
C’est d’ailleurs à la “33” que Jean FRÉMOND rencontre Jean-Marie SAGET, pilote d’essais chez Dassault depuis 1955. En effet, un jour de 1979, SAGET se pose à Entzheim en Bonanza. Alors que Jean FRÉMOND rentre de mission en Mirage III, la tour de contrôle lui ordonne de se rendre immédiatement au bureau du Commandant d’Escadre. Il y rencontre alors SAGET qui ne tarde pas à lui dire : “Jean, on a une place de pilote d’essais, on t’attend !“. Il n’en faudra guère davantage pour décider FRÉMOND à rejoindre les Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation (AMD-BA).
Le Mirage F1 : premier avion “systèmes”
Jean FRÉMOND a donc une trentaine d’années quand il devient à son tour pilote d’essais.
Combinant pilotage et conception, Jean FRÉMOND intègre les équipes de développement du Mirage F1EQ : premier “avion systèmes”. En effet, entre 1980 et 1990, Bagdad achète à la France 121 Mirage F1EQ/BQ. Cette version export du F1 nécessite d’intégrer et de faire communiquer entre eux différents équipements d’un Système de Navigation et d’Attaque encore plus évolué. En particulier, l’objectif consiste à remonter en cabine et d’y rendre accessible des images FLIR ou d’un Pod de Désignation Laser. Divers essais et développements portent également sur les conduites de tir du missile anti-navires AM-39, les bombes hyper-freinées et la configuration “nounou“.
Fort de son expérience dans la reconnaissance, il participe également au développement du Mirage F1CR. Alors que l’avion est déjà en développement, il obtient diverses améliorations. Parmi celles-ci, l’ergonomie du cockpit est optimisée pour éviter que le pilote n’ait à plonger la tête dans l’habitacle durant sa mission. Une attention toute particulière est ainsi portée sur les commandes de déclenchement des prises de vues et de réglages de la centrale inertielle Uliss 47R.
Suite aux premiers vols du Mirage 2000N en 1983, Jean FRÉMOND participe à l’ouverture de son domaine de vol à partir de 1985. De nombreux essais portent alors sur les vols à haute vitesse et très basse altitude aux instruments (IMC). L’objectif est de qualifier son système de navigation et d’attaque (SNA) et son radar Antilope V. Celui-ci dispose de la toute première fonction suivi de terrain (SDT). Cette fonction permet la détection du sol dans le plan vertical jusqu’à 12 km Ainsi, le vol est possible en automatique ou manuellement à 300 pieds d’altitude et 600 nœuds.
Les expérimentations sur Rafale A
Le 4 juillet 1986 le démonstrateur Rafale A décolle pour la première fois aux mains de Guy MITAUX MAUROUARD. Jean FRÉMOND participe aux essais en vol dont le pilotage est révolutionnaire à plus d’un titre : manche et manette des gaz latérales et commandes de vol numériques.
De nombreuses évaluations portent également sur les bénéfices de la forte inclinaison du siège éjectable à 32°. Néanmoins, il apparaît très vite que celle-ci ne permet pas au pilote d’atteindre les instruments de part à d’autre de la VTM. Jean FRÉMOND entame alors divers travaux portant sur la future cabine de pilotage dont la conception se fait autour du pilote :
- En premier lieu, il cherche à éviter les entrées aux claviers. Il s’assure donc dès 1988 d’une utilisation possible de commandes tactiles. Egalement, il privilégie l’affichage d’un minimum d’informations, tout en optimisant leur accès et la navigation entre les différents systèmes.
- Autre domaine qu’il convient d’optimiser : la position du pilote. A l’aide de maquettes, les équipes techniques décident de redresser le siège de 32 à 29°. Ils abaissent par ailleurs le plancher de la cabine, dans la limite des contraintes imposées par la taille du futur train avant du Rafale M. Le volume de travail du pilote s’en trouve dégagé : la planche de bord avance de 14 cm et son élargissement permet d’y positionner une VTM polychrome ainsi que deux VTL.
Le Rafale C01 au salon de Farnborough
Alors que Guy MITAUX-MAUROUARD effectue finalement le premier vol du Rafale C01 le 19 mai 1991, c’est Jean FRÉMOND qui assure sa présentation en vol au salon de Farnborough en 1992. Le salon aéronautique démontre la parfaite fiabilité et disponibilité des appareils de Dassault Aviation. Patrick EXPERTON sur le Mirage 2000, et Jean FRÉMOND sur le C01 décollent rigoureusement au “tops” prévus par la direction des vols.
Le premier Rafale biplace, le B01 effectue quant à lui son premier vol le 30 avril 1993, avec Jean FRÉMOND aux commandes. Durant les semaines qui précédent, pilote, ingénieurs et mécaniciens procèdent à divers essais. Progressivement, ils conduisent l’appareil vers son premier vol. Celui-ci effectue d’abord plusieurs points fixes au sol afin d’évaluer le fonctionnement global des systèmes. Ensuite, le pilote procède à quelques roulages à basse vitesse. Peu à peu, il mène plusieurs accélérations arrêts et finit par lever la roulette du nez de l’appareil. Enfin, le pilote effectue un “saut de puce” où le prototype décolle un bref instant.
30 avril 1993 : premier vol du Rafale B01
La veille, les hautes instances de Dassault Aviation arrivent à Istres pour assister à l’évènement. Alors que Jean FRÉMOND et son principal ingénieur finalisent l’ordre d’essai, la météo s’annonce tout juste satisfaisante.
30 avril 1993. Maryse, la femme de Jean décrit son mari comme introverti. Il ne laisse rien paraître, pourtant, Jean est concentré, matérialisant déjà chaque phase du vol.
Les équipes techniques contrôlent les paramètres de l’avion. Pas loin de 1500 transiteront par la télémesure durant le vol, en plus d’une voie phonie qui permettra à Jean d’échanger avec les équipes au sol durant le vol sans avoir à utiliser un alternat radio.
Roulage, puis décollage. Jean prend de l’altitude, sous l’œil attentif d’un contrôleur aérien dédié à ce vol d’essais. Le chase plane est là, un Mirage 2000B accompagne le Rafale B01 comme observateur, avec à son bord Dominique CHENEVIER (?) et François ROBINEAU, le photographe qui immortalise l’évènement. Puis Jean rentre le train et procède à quelques manœuvres. Il teste sommairement le comportement de l’avion qui dispose de nouveaux calculateurs numériques de commandes de vol. En salles d’écoute, les ingénieurs et les autorités de Dassault Aviation suivent le bon déroulement des essais.
Après un vol d’une quarantaine de minutes dans le secteur de Fos sur Mer, Jean se pose en longue finale. Il rejoint le parking sous quelques gouttes de pluie. Photos de famille, félicitations et remerciements saluent l’évènement qui s’achève sur un débriefing avec les équipes techniques : rien à signaler, le vol a été nominal.
Poursuite des essais en vol
Le premier vol du Rafale B01 ne marque finalement qu’une nouvelle étape dans l’élaboration du programme Rafale. S’en suivront une douzaine d’années pendant lesquelles l’appareil participera essentiellement aux développement du système d’armes, des commandes de vol, des conduites moteurs ainsi que des systèmes généraux.
Dans le domaine des essais en vol français, peu nombreux sont les pilotes à voler sur plusieurs types d’avions. Un apprentissage permanent les amènent à intervenir sur plusieurs programmes, contrairement à la philosophie américaine. Egalement, ils se chargent aussi des présentations en vol. En somme, ils font “tout en premier”, le risque est permanent. Après que les équipes au sol acceptent de lui confier l’avion, le pilote est seul maître à bord. Il prépare le vol, fait la découverte de l’avion et juge ses capacités. En vol, le pilote est “la main” d’une équipe technique que dirige un ingénieur d’essai, responsable du vol en salle d’écoute. La réussite d’un vol n’est possible qu’avec une forte cohésion de tous les acteurs, sans oublier les controleurs.
Par la suite, d’autres institutions participent également au programme :
- Le Centre d’Essais en Vol (CEV, aujourd’hui DGA Essais en Vol) suit et effectue également des essais. Il certifie et contrôle les aptitudes opérationnelles de l’avion.
- Le Centre d’Expertise Aérienne Militaire (CEAM), en charge de la réception et de la mise en œuvre des nouveaux matériels dans l’armée de l’Air.
NDLR
Je tiens tout particulièrement à remercier Jean FRÉMOND, ainsi que sa femme, Maryse. Merci à vous d’avoir accepté de partager vos souvenirs avec un simple passionné. Merci, Jean, pour ta disponibilité.
Nécessaire précision : afin de rédiger les différents articles sur les prototypes Rafale, je me suis appuyé sur une vaste documentation. Je me suis donc permis de reproduire quelques photos provenant de livres ou revues aéronautiques de l’époque. Si toutefois les auteurs concernés par certaines publications s’opposaient à cette utilisation, je les invite à me contacter. Je retirerai alors les images à leur demande, ou ferai mention d’un copyright jusqu’ici inconnu. La plupart de ces livres et revues n’étant plus disponibles à la vente, j’ai volontairement souhaité en partager une infime partie avec des lecteurs moins chanceux de ne pas disposer d’une telle collection dans leur bibliothèque.