Etats-Unis, France et Royaume-Unis effectuent de grandes manœuvres aériennes.
Photo de couverture : Atlantic Trident 2021 © U.S. Air Force photos by Staff Sgt Alexander Cook.
Depuis les guerres du Donbass (2014 – 2022) et Haut-Karabakh (2020), les nations occidentales se préparent à vivre des conflits plus durs après des décennies de combat asymétrique. C’est dans ce contexte que la notion de haute intensité a fait son retour dans le discours des autorités militaires. Face à une telle hypothèse, France, Etats-Unis et Royaume-Uni pratiquent régulièrement des manœuvres aériennes de grande ampleur, visant à maintenir et améliorer leur interopérabilité.
Si le Rafale affiche un retex plus important que les Typhoon et F-35, il n’en reste pas moins que l’interopérabilité nécessite des efforts constants.
Trilateral Exercise Initiative (TEI) en 2015
Du 2 au 18 décembre 2015 se tient sur la base aérienne de Langley, en Virginie (États-Unis) l’exercice trilatéral de défense aérienne (anti-access / area denial) qui implique les forces aériennes américaines, britanniques et françaises. Trilateral Exercise Initiative voit, pour la première fois, opérer conjointement F-22A, Typhoon et Rafale. Face à eux, l’opposition se compose de F-15E et T-38. De plus, des avions radar américains ainsi que des ravitailleurs britanniques et français fournissent le support aérien. Cet entraînement de très haut niveau mobilise près de 500 militaires des trois nations.
Les premières journées portent sur des vols de familiarisation. Ils permettent aux pilotes de prendre connaissance des procédures et des spécificités du secteur. Jusqu’au mardi 8 décembre, des missions simples, dites de type BFM (Basic Fighter Maneuvers), sont au programme. Les pilotes s’affrontent ainsi en duel, ou deux contre deux, dans des combats rapprochés. “Pour ce premier vol, mon équipier et moi, nous nous sommes entraînés contre deux Typhoon britanniques, explique le capitaine C., notre playtime (autonomie d’action) nous a permis d’effectuer deux présentations.”
Grace à la standardisation OTAN, bon nombre de tactiques sont communes aux trois nations. En conséquence, les avions ont pu voler immédiatement ensemble. En revanche, des actions restent nécessaires sur la communication et la connaissance commune de la situation. Le F-22, par exemple, étant capable de recevoir des données par Liaison 16, mais pas d’en envoyer.
Rafale, F-22 et Typhoon s’affrontent au dessus de la Virginie
Cinq Rafale décollent en trois vagues successives pour rallier des F22 Raptor et des Eurofighter Typhoon. Après la mission, les pilotes français sont pleinement satisfaits de leur première expérience dans l’espace aérien américain. “C’est un bonheur de s’entraîner avec des pilotes d’un tel niveau et équipés, de surcroît, d’avions de chasse de dernière génération, ajoute un pilote de Rafale, “nous avons hâte que le niveau de difficulté monte d’un cran pour travailler à l’amélioration de l’interopérabilité entre nos trois nations et apprendre les uns des autres”.
L’objectif du TEI est, en effet, de maintenir et d’améliorer l’interopérabilité et la connaissance mutuelle entre trois armées de l’air. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont également en commun un haut niveau de préparation opérationnelle sur un spectre très large de missions aériennes.
Le saviez-vous ? Le 1st Fighter Wing de Langley AFB est “premier” en tout point de vue :
- 1ère unité à abattre un avion ennemi durant la 1ère Guerre Mondial, mais également durant la seconde Guerre Mondiale.
- Porte les traditions de l’escadrille La Fayette et de l’as de la première Guerre Mondiale aux 26 victoires, Eddie Rickenbacker.
- 1ère unité à disposer de P-38 (en 1941), F-15 (en 1976) et F-22 (en 2005).
- Egalement 1ère unité à intervenir durant l’opération Desert Shield (en 1990).
- Héberge le “F-22 Raptor demo team“.
- Dispose de 40 F-22 (27th et 94th Squadron).
- Dispose de T-38 jouant le rôle d’aggressors (71st Squadron).
Atlantic Trident, édition 2017
Du 12 au 28 avril 2017, les pilotes américains, britanniques et français se retrouvent sur la base aérienne de Langley. Après une phase initiale rythmée par des combats à vue, l’exercice trilatéral désormais baptisé “Atlantic Trident” 2017 passe à la vitesse supérieure.
L’exercice est la traduction concrète d’un partenariat stratégique entre les armées de l’air américaine, britannique et française. “Nous comptons parmi les forces aériennes majeures dans le monde, capables d’opérer sur l’ensemble du spectre des missions aériennes, détaille le général Éric Charpentier, commandant la brigade aérienne de l’aviation de chasse et directeur français de l’exercice (Direx). Nous appartenons à un club très fermé de nations disposant d’avions de chasse figurant parmi les plus performants au monde. Grâce à leur préparation et à leur expérience opérationnelles, nos aviateurs tiennent leur rang. Aujourd’hui, nous sommes ici totalement à notre place et c’est un réel motif de fierté.“
De jour en jour, la difficulté progresse, l’environnement tactique se complexifie. L’opposition se densifie. Durant l’exercice, les pilotes de F-22 et de F-35 américains, de Typhoon britanniques et de Rafale français œuvrent au sein d’une coalition amie appelée Blue Force.
La rédaction vous propose d’autres articles relatifs à Atlantic Trident 2017 : ici et là et encore là.
Tirer le meilleur parti des avions de combat
Ensemble, les pilotes doivent élaborer et mener des raids combinés, en opposition à une force ennemie (Red Force) composée de F-15 et de T-38 américains. Des avions radar AWACS contrôlent le tout. “Pour pouvoir faire face aux menaces de demain, nous nous préparons à mener ensemble des combats de haute intensité, explique le général Charpentier. Pour cela, nous devons parvenir à une intégration maximale entre avions de 4eet de 5e génération. Nous cherchons à fédérer les forces de chaque appareil et à tirer le meilleur parti de ses capacités.“
Pour les besoins de l’exercice, on établit un scénario fictif. La Blue Force doit ainsi répondre aux agressions répétées de la Red Force par des missions de défense aérienne, appelées Defensive Counter Air (DCA). L’objectif final est d’obtenir la suprématie aérienne, afin de pouvoir ensuite annihiler la menace ennemie par des raids aériens offensifs en profondeur derrière les lignes de combat. “Cet exercice permet de développer notre connaissance mutuelle, affirme le général Charpentier. Cela représente également l’occasion de développer de nouvelles tactiques.“
Cette année, des F-35A de la base d’Eglin en Floride participent à l’exercice. Cet appareil poursuit sa montée en puissance, après que sa capacité opérationnelle initiale eut été prononcée quelques mois plus tôt. “Atlantic Trident” est également ponctué par la célébration du centenaire de l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale.
Le vendredi 21 avril, la Patrouille de France effectue à cette occasion une démonstration aérienne, en compagnie des présentateurs en vol du F-22 et du Rafale. © Armée de l’Air – Source.
2021 : Atlantic Trident s’installe à Mont de Marsan
L’exercice se déroule du 17 au 28 mai 2021 et met en œuvre une soixantaine d’aéronefs. 50 avions de chasse, des ravitailleurs (KC-135 français et américains, A330 Phénix et Voyager) et des moyens de détection et de contrôle (E-3D britannique et E-3F français) participent à des missions aériennes complexes, à l’image de la réalité du combat aérien moderne (digitalisation de l’espace aérien, évolution du contexte stratégique et des défenses adverses).
Cette fois, Rafale F3-R, Typhoon et F-35 élaborent des raids combinés en opposition de Mirage 2000, Alphajet, PC-21 et d’autres Rafale. Les appareils opèrent depuis la France, le Royaume-Uni et le porte aéronef HMS Queen Elysabeth. Les forces en présence sont :
- 12 F-35A américains provenant du 388th Wing (Hill AFB) où stationnent habituellement 78 appareils.
- 4 Typhoon du XI Squadron de Coningsby. Le porte aéronefs HMS Queen Elysabeth participe également avec 8 F-35B (dont 4 appartenant à la VMFA-211 de l’USMC).
- 12 Rafale (8 de Mont-de-Marsan et 4 de Saint-Dizier).
- 2 Mirage 2000D, 4 Mirage 2000-5 et 2 Mirage 2000 RDI.
- 4 Alphajet et 2 PC-21.
- 4 Rafale M de la Flottille 12F
- 2 Caracal, 1 A400M et 2 C130.
Reportage photos de Julien Gernez sur Skywards Review.
Sur une mission d’une heure trente, 75 missiles peuvent être fictivement tirés(*)
L’exercice établit différents dispositifs. La Blue Force doit ainsi répondre aux agressions répétées de la Red Force par des missions de défense aérienne, appelées Defensive Counter Air (DCA), pour protéger une zone ou un territoire. L’objectif final est d’obtenir la suprématie aérienne, afin de pouvoir ensuite annihiler la menace ennemie par des raids aériens offensifs en profondeur, derrière les lignes de combat.
Le premier tour du matin est consacré à une “Main Wave”, avec des missions de type COMAO (COMposite Air Opérations). Ces larges opérations mettent en scène des combats simulés mobilisant l’intégralité des avions aux rôles bien distincts. Les après-midis sont quant à elles dédiées aux missions moins complexes à effectifs réduits, appelées également “Shadow Wave”.
Les différents escadrons s’affrontent sur des scénarios variés, dans lesquels les aviateurs et leurs homologues sont tour à tour alliés ou agresseurs. Aux commandes de ces missions, des pilotes se relaient afin d’assurer la fonction de Mission Commander, chef d’orchestre du raid aérien. Depuis le poste de commandement des opérations, un airboss anime quant à lui le scénario grâce à une visualisation de la situation aérienne tactique en temps réel. (*) Source.
Se préparer aux conflits de haute intensité
L’objectif d’Atlantic trident consiste donc à développer l’interopérabilité face aux enjeux de la haute intensité. Avec des avions de dernière génération, les trois armées de l’air se confrontent à des problématiques comparables dans des domaines tels que la digitalisation de l’espace aérien ou encore les capacités futures de commandement et de conduite. La connaissance mutuelle et le développement de procédures communes passe par l’organisation de ce type d’exercice, afin de pouvoir opérer côte à côte en opérations et faire face aux conflits de demain dans des environnements très contestés. Cet exercice de haut niveau vise également à fédérer les forces de chaque appareil et à tirer le meilleur parti de leurs capacités (Fighter Integration).
Atlantic Trident s’intéresse au travail en coalition tripartite. Par des entraînements communs avec ses alliés, et des systèmes d’armes compatibles, grâce à des matériels identiques ou partageant les mêmes standards, l’AAE ne cesse de développer son interopérabilité.
Bilan de l’exercice Atlantic Trident 2021 :
- 7 COMAO à 15 contre 15, 20 contre 20 voire 20 contre 40
- 9 shadow waves à 12 contre 8
- Plus de 600 participants
- 15 aéronefs supports (ravitailleurs, commandement et conduite, transport et assaut, hélicoptères)
Le combat collaboratif avec la Liaison 16
Créé en 2018, le Centre Expert du Combat Collaboratif (CECC) de Mont-de-Marsan propose différents services permettant la préparation opérationnelle des forces.
Le LVC16 “Live Virtual Constructive Link 16“, offre la possibilité de créer des scénarios complexes d’entraînement, d’animation, de simulation et de capitalisation des enseignements lors des entraînements en métropole. Ces prestations sont délivrées à la fois au profit du monde réel “live“, et à terme aux fédérations de simulations distribuées “virtual“.
Grâce aux outils collaboratifs, dont le logiciel “TacView“, de nombreux équipages opèrent depuis leur base aérienne de rattachement. En effet, ce logiciel spécifique interconnecté permet la restitution et le débriefing des missions en visioconférence. Inspiré d’un logiciel civil issu du monde des jeux vidéo, il permet aux pilotes de débriefer leurs entraînements en passant au peigne fin l’ensemble des actions réalisées. “TacView” restitue toutes leurs interventions et leurs trajectoires en trois dimensions. Elles sont partagées simultanément par réseau avec tous les participants et sont commentées par l’”airboss” de la mission.
“TacView” intègre la suite logicielle “Jeannette”. Il peut ainsi suivre en direct les actions des différents participants : le logiciel réceptionne et fusionne sur un seul écran les pistes radar et celles liées à la liaison 16 (Standard OTAN pour l’échange d’informations tactiques entre unités aériennes, maritimes ou terrestres). “Jeannette” combine également les moyens réels et simulés, en associant aéronefs en vol et pistes virtuelles. À l’aide des Range Training Officiers, il anime la mission en temps réel au profit des forces amies ou ennemies.
Aujourd’hui, tous les acteurs utilisant la Liaison 16 peuvent échanger leurs informations en temps réel. Cette image tactique alimente l’ensemble des plateformes.
Le Royaume-Uni accueille Atlantic Trident en 2023
Du 30 octobre au 10 novembre, 300 aviateurs français s’entraînent une nouvelle fois aux côtés de la Royal Air Force et de l’US Air Force. Quatre Rafale du 3/30 Lorraine, un E-3F Awacs et tout le personnel nécessaire au déploiement de ces appareils prennent part à l’exercice. Un A330 MRTT Phénix est également de la partie. Il intervient cependant depuis Istres.
Les forces françaises s’installent sur la base aérienne de RAF Waddington.
Les équipages des trois nations se retrouvent dans les airs quotidiennement pour y mener des missions de type “Entry Force” (entrée en premier) issues d’une situation géopolitique fictive. Les procédures utilisées répondent aux standards OTAN. Les équipages doivent planifier, exécuter et débriefer des missions complexes dans un environnement tactique non-permissif réaliste en intégrant des menaces air-air et surface-air, un Command & Control (C2) avec une mise en œuvre des liaisons de données tactiques.
Agile Combat Employment
Particularité de cette édition, la mise en application de l’Agile Combat Employment. Ainsi, le 3 novembre, simulant une possible attaque de leurs installations à Waddington, le dispositif français reçoit l’ordre de quitter la zone pour se redéployer sur la base de Leeming. Les Rafale décollent, l’E-3F quitte la zone et le personnel embarque dans des convois direction Leeming, distante de 180 km. L’objectif est multiple : se redéployer rapidement et en toute autonomie. Cela permet d’éprouver pour l’armée de l’Air et de l’Espace le concept opérationnel de mise en œuvre réactive de l’arme aérienne (MORANE).
L’interopérabilité entre les F-35 et les Rafale reste perfectible
Utilisatrice de la Liaison 16 comme la plupart de ses alliés au sein de l’OTAN, la France est depuis trois ans défenseur du développement d’une norme européenne pour un nouveau réseau de liaison de données tactiques militaires pleinement interopérable avec les États-Unis. Ce réseau serait naturellement différent du MADL (Multifunction Advanced Data Link) du F-35.
En décembre 2021, Thales remporte un marché d’intégration et de support des stations SatCom dit Mélissa (Marché d’élaboration d’intégration et de soutien des stations satcom aéronautiques). L’objectif est de permettre aux moyens aériens de la France de communiquer et d’échanger des données via une liaison protégée et renforcée utilisant la constellation militaire Syracuse IV. D’ici 2025, ces stations seront intégrées au ravitailleur MRTT, renforçant ainsi son rôle de nœud clé C2 pour le FCAS (Future Combat Air System). Ce réseau serait donc une carte à jouer pour y connecter les systèmes de communication, de navigation et d’identification du F-35.
Lors de l’édition 2021 d’Atlantic Trident, le Général Parisot commente : “Des F-35B britanniques ont volé depuis le HMS Queen Elisabeth et nous avons pu réussir certaines missions, tout en identifiant les domaines dans lesquels des progrès étaient absolument nécessaires. C’est ce que nous essayons de dégager à travers nos échanges et nos futurs exercices“.
A l’horizon 2030, l’Europe mettra en œuvre plus de 500 F-35, il apparaît donc évident, voire capital de parfaire les échanges de données entre Rafale et F-35. Un paramètre à prendre en compte tant au niveau des évolutions du F-35 Block 4, que des futurs standards F4 et F5 du Rafale.
La “furtivité” du F-35
Si l’objectif principal de l’exercice Atlantic Trident consiste à partager l’information et le retour d’expérience, il n’en reste pas moins des limites. A ce titre, la furtivité des avions américains en fait partie. En effet, la furtivité des F-22 et F-35 qui caractérise les avions dits de 5e génération, est un sujet bien gardé. S’il a néanmoins été possible d’observer des F-35 sans leurs réflecteurs radars habituels, ceux-ci en sont toujours équipés en exercice. Le but de tels dispositifs consiste à dégrader la signature radar (Radar Cross Section) du F-35 vis à vis des hautes fréquences émises par les radars embarqués par les autres avions de combat.
Travailler ensemble, oui, dévoiler tout ses secrets, non. Il en est assurément de même quant aux performances exactes d’un RBE2 AESA ou SPECTRA face à un “adversaire” comme le F-35.
2 thoughts to “Atlantic Trident : les Rafale s’entrainent à la haute intensité”
Les appareils utilisent ils toutes leurs capacités.. ? Ou sont-elles modérées afin de ne pas divulguer la réalité ..?
Hélas, de tout temps à jamais, le but de chaque partie consiste à être le plus efficace, tout en dévoilant le moins possible de ses capacités maximum.
A ce niveau, j’imagine que les échanges restent tout de même très productifs, ceci dit, la plupart du temps, ce sont les règles d’engagement qui limitent les réelles actions de chacun.
… et je ne parle pas des conclusions qui ne sont jamais rendues publiques.