Entre 1986 et 1994, le démonstrateur Rafale A effectue 867 vols, aux mains d’une trentaine de pilotes.
Le démonstrateur Rafale A : 1986 – 1994 (890 heures de vol)
Les années 70 : entre crise pétrolière et marché du siècle
Fin 1976, Marcel Dassault se rend à l’Elysée pour rencontrer le Président Giscard d’Estaing. Dans un contexte économique devenu plus compliqué, l’industriel doit penser à “l’après Mirage III“, dont 1500 exemplaires équipent plusieurs forces aériennes à travers le monde.
Après le premier choc pétrolier de 1973, les budgets militaires se réduisent peu à peu. L’objectif fixé par le Général De Gaulle à 4% du PIB semble déjà bien loin. Puis c’est au tour de l’Europe de mettre à mal les ambitions de Dassault avec le “marché du siècle“, que le F-16 américain remporte en 1975, essentiellement face à un Mirage F-1 sous motorisé. 348 appareils échappent ainsi à l’avionneur français.
De leur côté, après avoir laborieusement mis en œuvre le programme Tornado, Allemagne et Royaume-Uni s’engagent à trouver un successeur aux F-104 et Phantom. Très vite se dessine un appareil biréacteur, dont l’Armée de l’Air rêve depuis ses expériences avec le Mirage IV et le Jaguar. Un bimoteur, c’est plus d’allonge, plus de survivabilité et davantage d’emports.
C’est donc dans un cadre défavorable que Marcel Dassault rencontre Giscard d’Estaing et lui propose 2 appareils : le Mirage 4000, biréacteur qui intéresse l’Irak, et le Mirage 2000, monoréacteur. Tandis que le lancement du Mirage 4000 serait financé par l’Etat, le “2000” serait quant à lui développé sur fonds propres de Dassault. C’est alors que Valéry Giscard d’Estaing inverse la proposition. Malheureusement, le Mirage 4000, malgré des performances remarquables n’aura aucun avenir, privant l’industriel d’un bimoteur, ainsi que l’Armée de l’Air.
Mésentente européenne : ACX vs EAP
La fin des années 70 verra donc la France suivre plusieurs programmes à la fois : le lancement du Mirage 2000 alors que le Mirage F1 entre à peine en service, ainsi que les débuts des travaux concernant le futur avion de combat. En effet, l‘Armée de l’Air demande alors au Ministère de la Défense de conduire l’étude d’un Avion de Combat Tactique, l’ACT. Tout est alors envisagé, y compris une vaste coopération européenne. Des discussions s’engagent alors entre la France, la RFA et le Royaume Uni, mais les divergences de point de vue ne tardent pas à apparaître : au chasseur bombardier opté par la France, les autres pays privilégient un chasseur pur destiné à remplacer le F-4 Phantom.
Fin 1978, AMD-BA (Avions Marcel Dassault – Breguet Aviation) obtient le marché visant à lancer l’étude de l’ACT (ACM pour la Marine). En étroite collaboration avec ses homologues British Aerospace et MBB, les avionneurs s’entendent sur un biréacteur à aile delta, équipé de plans canards et commandes de vol électriques. Une vitesse de Mach 2 et un plafond de 15000 m figurent aussi au cahier des charges. L’appareil doit être disponible pour 1992 !
En 1980, la masse de l’appareil devient un nouveau sujet de controverse. Le choix de moteurs distincts pour les 3 nations fait varier celle-ci de 9 tonnes à 12,5 tonnes (M88 pour la France, GE-F404 pour l’Allemagne et RB-199 pour la Grande Bretagne). L’Allemagne rejoint alors le Royaume Uni en 1983 avec le lancement de l’EAP (Experimental Aircraft Program). La France, de son côté, lance officiellement l’ACX.
Courant 1983, la Grande Bretagne confirme son souhait d’un appareil pouvant atteindre le Rideau de fer avec une prédominance air-air, alors que la France s’oriente en priorité sur un avion multi-rôles qui reprendrait les missions des Jaguar, Mirage IV, Super Etendard, Mirage 2000 (C et N), Mirage F1 et Crusader.
De l’ACX au Rafale
Les études concernant le programme ACX débutent en 1978. En réponse à une double spécification de l’Armée de l’Air et de la Marine, l’objectif est la réalisation d’un avion de combat polyvalent devant entrer en service dans les années 90. Ainsi, Dassault décide de réaliser d’abord un démonstrateur technologique destiné à tester les différents systèmes qui équiperont les machines de série.
En mars 1983, AMD-BA (Avions Marcel Dassault Breguet Aviation) lance l’étude baptisée ACX : Avion de Combat eXpérimental. Le Ministre de la défense, Charles Hernu autorisant la fabrication du démonstrateur en juin. En août 1985, il annonce le retrait de la France du programme “European Staff Target for a European Fighter Aircraft“. ACX et EAP suivront donc des routes différentes.
Le saviez-vous ? Initialement, le nom de baptême du programme ACX devait commencer par la lettre “M”. “Mystère“, “Mirage” ou “Mercure” s’étant illustrés précédemment. Finalement, Marcel Dassault en décida autrement lors d’une réunion de concertation avec Charles Hernu, Ministre de la Défense. Il s’appellera “Rafale“. Le souvenir de l’Ouragan, premier chasseur à réaction, l’avait emporté sur la nécessité de trouver un nom commençant par la mettre “M”.
Le constructeur assemble le prototype dans ses usines de Saint-Cloud, avant de le présenter au public le 14 décembre 1985. Tout compte fait, 265 études d’avant projet auront été nécessaires depuis 1978.
Le démonstrateur Rafale A (F-ZJRE)
Convoyé à Istres, l’avion réalise un premier point fixe en avril 1986 aux mains de Roger Théron, puis un premier roulage en juin avec Guy Mitaux-Maurouard aux commandes.
Le 4 juillet 1986, le Rafale effectue son premier vol après trois rouleurs et un dernier saut de puce. A cette occasion, son pilote d’essai, Guy Mitaux-Maurouard conduit l’avion à Mach 1,32 et 11000 mètres d’altitude, sans usage de la post-combustion. En conséquence, l’avion accède directement à la capacité de vol en supercroisière.
Durant son premier vol, le Rafale est escorté par Yves Kerhervé aux commandes du Mirage 2000B 01, ainsi que Bruno Coiffet en place arrière afin de réaliser les photos.
A chacune de ses sorties, l’avion est analysé par une importante installation d’essais enregistrant près de 1250 paramètres différents. 1000 d’entre eux sont transmis en temps réel par l’antenne sabre située sous le fuselage avant.
Le 17 juillet à peine, au cours de sa 8e sortie, l’appareil dépasse Mach 1.8 à 12600 mètres. Les pilotes testent également l’atterrissage sur un seul moteur, ainsi que l’extinction et rallumage d’un réacteur en vol. Il affiche rapidement une manœuvrabilité supérieure à celle des avions de sa génération, évoluant à 23° d’incidence lors de ses premiers vols. Il effectue des virages stabilisés sans perdre de vitesse, à très forte cadence.
Mach 1 dès son premier vol, puis Mach 2 !
Le démonstrateur atteint Mach 2 le 4 mars 1987 au cours de son 93e vol.
- Longueur : 15,50 m
- Envergure : 10,60 m
- Hauteur : 5,18 m
- Masse à vide : 9500 kg
- Surface alaire : 47 m²
- Facteur de charge : +9 g / -3,6 g avec 2 moteurs F-404
- 148 km/h de vitesse minimum (80 kts) avec 2 moteurs F-404
- Vitesse d’approche : 120 nœuds – Atterrissage sur 300 mètres et décollage sur 400 mètres
- 750 kts (en TBA) / Mach 2 (en HA) de vitesse maximum avec 2 moteurs F-404
- Plafond pratique : 18000 m (50000 ft)
- Distance franchissable : 2350 km
- Carburant interne : 4250 kg
- Avionique interne : 780 kg
- Incidence max. : 32°
Signe d’une extrême maîtrise du programme d’essais, les pilotes réalisent des vols de combat contre des Mirage 2000 fin 1986. Par ailleurs, le freinage maximal dès l’impact du train d’atterrissage stoppe l’avion en moins de 300 mètres. Le décollage s’effectue en moins de 400 mètres. Un logement dans le cône de queue abrite un parachute de freinage de secours.
Guy Mitaux-Maurouard
Né en 1938. Ancien élève de l’Ecole de l’Air, promotion 1957, il commence sa carrière comme pilote de chasse en 1960. Il devient ensuite chef de patrouille en 1963, puis pilote d’essais en 1967.
Il entre au Centre d’Essais en Vol en 1966, puis chez Dassault en 1969.
Chef pilote d’essais entre 1986 et 1991, il effectue les premiers vols du Mirage Milan, Mirage F1E (M53), Mirage 2000-02, 03 et 04, puis du Rafale C01 et du Falcon 2000.
Titulaire de 9067 heures de vol, il est Chevalier de la Légion d’Honneur, médaillé de l’Ordre National du Mérite et de la valeur militaire avec citation. En 1987, il reçoit le prestigieux “Iven C. Kincheloe Award” qui récompense les réalisations exceptionnelles dans la conduite d’essais en vol. D’ailleurs, pour se convaincre du caractère exceptionnel de ce prix, il suffit d’en regarder le palmarès depuis 1958 : des pilotes des programmes X-15, Mercury, XB-70, F-111, Apollo, F-14, B1, F-14 ou Navette Spatiale ! (Source)
Le compromis des entrées d’air
Éléments complexes, les entrées d’air couvrent un large domaine de vol et permettent d’établir le meilleur compromis possible :
- augmentation du rendement à haute incidence de par leur positionnement sous le fuselage (semi-ventrales)
- optimisation du flux d’air par diminution de l’hétérogénéité stationnaire et instationnaire de l’écoulement
- capacité à évoluer à grande vitesse (Mach 2)
- écartement des deux entrées d’air pour éviter toute dépendance de l’une vers l’autre
- absence de dispositifs mobiles ou de parois
- distanciation permettant l’accrochage d’un train d’atterrissage avant résistant à de fortes contraintes (100 tonnes de traction sur le Rafale M)
- espace important permettant une plus grande capacité d’emport.
Globalement, c’est le nez de l’avion qui joue le rôle de rampe de compression aérodynamique, ainsi que les deux joues situées de part et d’autre de la partie avant en prolongement des entrées d’air.
Les plans canards
Ces surfaces actives sont montées sur la partie la plus large de la section avant du fuselage du Rafale, au-dessus du plan de la voilure, en dehors d’une zone d’écoulement qui pourrait être perturbée par des entrées d’air et suffisamment à l’arrière de la verrière pour ne pas gêner la visibilité extérieure du pilote. Leur incidence est piloté par une servo-commande électro-hydraulique dont l’axe pivot est en titane. Elles permettent le contrôle direct de la portance. Il sera par exemple possible sans changer l’assiette ou l’incidence de l’avion, d’augmenter ou de réduire la portance au gré du pilote en agissant à la fois sur les canards et sur les élevons.
En outre, les surfaces canard participeront à la fonction aérofreins sur les appareils de série. Ainsi, les aérofreins présents sur le fuselage du Rafale A disparaîtront sur les appareils suivants.
Matériaux composites
Pour augmenter le rapport poussée-masse, l’emploi de matériaux composite apporte robustesse, mais également un important gain en masse. Ces matériaux sont fait de nombreuses couches de fibre de carbone, de bore, de Kevlar (ou mélange de ces deux matériaux) maintenues en place par une matrice de résine. Une fois passés en autoclave, ces matériaux ont une résistance égale à celle de l’acier pour une fraction de son poids.
Le bénéfice est de l’ordre de 25% sur la masse structurale de l’appareil.
Contribuant à l’allègement de la structure, les flancs de fuselage formant parois de réservoirs de carburant, les cadres principaux de dérive et les ferrures d’attache de voilure sont en alliage aluminium-lithium permettant une réduction de poids de 7 à 8 %. Le lithium est un métal de faible densité (0,53 g/cm3 contre 2,7 g/cm3 pour l’aluminium). Ajouté à l’aluminium, il diminue la densité de l’alliage obtenu en augmentant sa rigidité. Sa résistance mécanique est supérieure, son comportement en fatigue amélioré.
De 35 à 50% de matériaux composites
- 50% pour la cellule
- 25% pour la propulsion
- 11% pour les servitudes
- 14% pour les systèmes
A titre de comparaison, le Mirage 2000 se composait de 7% (246 kg) de matériaux composites en 1978, et le Mirage F1 0,25% (12kg) en 1976.
Salons aéronautiques : Farnborough et le Bourget
Dassault présente le Rafale pour la première fois au public le 31 août 1986 au salon aéronautique de Farnborough au Royaume-Uni. L’avion fait face à son concurrent, l’EAP qui achève tout juste son premier vol. Nettement en avance, le Rafale impressionne par une démonstration en vol très complète, alors que l’EAP ne réalise que quelques figures basiques. Ainsi, à titre de comparaison, le Rafale achève un 360° en 14 secondes, contre 25 pour l’EAP.
A l’occasion du salon du Bourget en 1987, le premier ministre, Jacques Chirac annonce que le Rafale équipera l’Armée de l’Air et la Marine à horizon … 1996.
Paris Air Show 1987, le Rafale A à partir de 16:14 :
Essais de ravitaillement en vol
Dassault installera même une perche de ravitaillement en vol factice pour réaliser des simulations de ravitaillement en vol fin 1988, début 1989. Alors que le Rafale A disposera de cette perche à gauche de l’appareil, elle prendra place définitivement à droite sur les appareils suivants.
Alors que sur les appareils de série un pylône relie les réservoirs à l’appareil, sur le Rafale A les réservoirs étaient plaqués contre la voilure et connectés par une “fusée”, à la manière du Mirage 2000.
Ci-dessous, reportage au journal télévisé d’Antenne 2 sur le salon de Farnborough en 1986 (Laurent Boussié) : Rafale (40 heures de vol à son actif) vs EAP (une quinzaine de vol réalisés). Archives INA (durée 1:58).
Les réacteurs : du F-404 au M88
Afin de propulser le Rafale, le programme SNECMA (aujourd’hui SAFRAN) M88 démarre en février 1986. C’est donc avec deux réacteurs américains, des General Electric F404-GE-100 équipant le F-18 Hornet, que le Rafale A débute les essais en vol. Chaque moteur développe 7250 kg de poussée.
Trois jours à peine après sa première rotation, le M88-2 atteint sa pleine poussée à sec, puis sa puissance maximale avec réchauffe le 12 avril 1989. Quatre exemplaires de développement seront nécessaires (n°201 à 204) :
- 201 : essais de caractérisation du moteur au plans thermique et mécanique,
- 202 : essais des transitoires,
- 203 et 204 : essais sur bancs d’altitude.
Une fois les principaux essais effectués, le Rafale subit un long chantier d’installation du M88 en juillet 1989. Il revole le 27 février 1990 avec un F-404 et un M88 installé à gauche. Celui-ci repose sur un cahier des charge spécifique :
- Permettre au Rafale d’évoluer en supersonique
- Afficher une consommation inférieure à 30% par rapport aux moteurs présents sur le marché
- Développer une grande puissance tout en libérant le pilote de sa gestion
- Etre plus petit et plus puissant que le GE-F404 grâce à une température de fonctionnement plus élevée
Les vols d’essais débutent le 9 mars, après seulement 3 vols de réception avec le 9e moteur de développement (209).
Dés le premier vol (85 minutes), le M88 affiche de meilleures reprises que le F-404. L’avion atteint 40000 pieds et Mach 1,4 sans post-combustion. Le pilote réalise même un rallumage en vol du M88 à Mach 0,8 et 3000 mètres d’altitude. Un premier décollage avec PC se déroule le 23 mars 1990.
Par la suite, Alain Rabion, pilote de la SNECMA, atteindra Mach 2.
Appontages Simulés
Le programme Rafale étant également destiné à équiper la Marine, trois campagnes d’évaluation se déroulent en novembre 1986, octobre 1987 et juillet 1988. 92 appontages simulés sont réalisés : 7 sur le Clemenceau et 85 sur le Foch.
Aucun appontage réel ne sera effectué, le démonstrateur n’étant pas équipé d’une crosse d’arrêt, et sa structure n’étant pas prévue pour en supporter les contraintes mécaniques. En particulier, son train d’atterrissage étant conçu pour encaisser une vitesse verticale inférieure à 4 m/s.
Ainsi, la campagne d’évaluation de juillet 1988 visait à étudier le champ visuel dont dispose le pilote lors de la manœuvre d’approche et d’appontage. Un des résultats consistera à abaisser le nez de 1,5° sur les appareils de série. Par ailleurs, il s’agissait en outre d’analyser le comportement en stabilité lors des approches à travers les turbulences engendrées par le porte-avions.
4 pilotes de l’Aéronavale se succèdent aux essais :
- le capitaine de vaisseau Paul Habert (Marine Nationale)
- le capitaine de frégate Richard Wilmot-Roussel (Marine Nationale)
- le colonel Claude Martin (CEV)
- Yves Kerhervé (Dassault)
Le 8 juillet 1988, l’avion affiche 124 appontages simulés sur pistes à Istres et 160 à Nîmes.
Rafale ou F-18 Hornet ?
Longtemps, la Marine reste réticente sur la capacité du Rafale à pouvoir un jour opérer sur porte-avions. Le 30 avril 1987, Yves Kerhervé simule d’ailleurs un appontage en passant à 50 cm du pont d’envol du Clemenceau afin de rassurer au plus vite les marins. Cependant, la Marine nationale estime que l’avion arrivera trop tard pour remplacer le Crusader et oriente sa préférence vers l’acquisition sur étagère de F-18 américains (30 à 40 exemplaires). En septembre 1988, une délégation de Northrop se rend même à Paris pour soutenir une offre portant sur 40 appareils. Estimant suffisante la compatibilité des porte-avions Foch et Clemenceau, des essais d’appontages et catapultages furent envisagés courant 1989.
Le saviez-vous ? L’Armée de l’Air, bien que dans la perspective des Mirage 2000 et 4000, et la Marine, pensant au remplacement des 42 Crusader, s’intéressaient au développement d’un nouvel appareil : le YF-17. En 1976, Northrop démarcha l’Armée de l’Air, qui devait envoyer deux pilotes mais, compte tenu du fait que l’appareil en question était un avion embarqué, c’est la Marine qui traita le dossier. C’est ainsi que l’attaché naval adjoint en poste à Washington depuis l’été 1976, le capitaine de frégate Michel Debray (commandant de la flottille 14F entre 1970 et 1971) prit l’affaire en main. Il effectuera, avec le Colonel Bonnet, plusieurs essais du YF-17 durant l’été 1978 à Edwards (source).
Rafale, un défi national
En fin de compte, par décision de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur en décembre 1989, la Marine renonce définitivement au F-18. Il indique que “la réussite du programme Rafale est un défi national qu’il faut relever“. Il précise également que “le maintien d’une industrie aéronautique française compétitive à l’échelle mondiale fait partie de la défense de la France“. Enfin, il conclut : “Le choix du gouvernement s’est porté sur le Rafale pour doter à terme aussi bien l’armée de l’air que la marine nationale.”
Afin d’attendre l’arrivée du Rafale, le Ministère de la Défense prolongera 17 Crusader pour 800 millions de Francs et modernisera 71 Super Etendard. Les F-8 voleront finalement jusqu’en 1999, et les Super Etendard, 2016.
Commandes de vol électriques (CDVE)
Au 30 avril 1991, avec pourtant 2 réacteurs différents (F-404 et M88), le domaine de vol est ouvert :
- Vitesse : 100 à 600 kts en TBA et Mach 1,4
- Incidence : -6° à +30°
- Altitude : 50000 ft
- Facteur de charge : +9 à -2,5 g
Les vols d’essais permettent de mettre au point l’avionique et les commandes de vol électriques du futur avion de série. Elles se composent de 3 chaînes numériques (fibre optique) et d’une chaîne analogique utilisable en cas d’urgence. D’ailleurs, pour la première fois au monde, c’est un calculateur qui assure la stabilité de l’appareil dès le premier vol. Ensuite, grâce au FADEC (régulation numérique), les réacteurs sont couplés au système de commandes de vol. Le braquage des gouvernes découle d’une comparaison permanente entre les demandes du pilotes et le mouvement réel de l’avion. C’est un ensemble d’accéléromètres, gyromètres et sondes diverses qui analysent à chaque instant les mouvements de l’avion.
Les CDVE assurent :
- le contrôle d’attitude sur les 3 axes
- le respect automatique des limitations
- le contrôle du vol à haute incidence
- les virages coordonnés
- la tenue du vecteur vitesse
- l’approche avec contrôle du rapport traînée / poussée
- la diminution des efforts dus aux turbulences en basse altitude et grande vitesse
Dassault Equipement développe également des vérins de timonerie et de gouvernes à fortes puissances. Les forces statiques avoisinent 30000 daN pour des pressions de l’ordre de 350 bars.
Interface homme-machine
Par ailleurs, les enseignements tirés permettent aux ingénieurs de définir avec précision le degré d’inclinaison du siège éjectable, permettant au pilote de supporter le mieux possible les accélérations. Pour cela, le siège éjectable du Rafale A s’inclinait de 30 à 40°.
Des études portent également sur l’interface homme-machine, afin de limiter le plus possible la charge de travail du pilote pendant le vol. Le poste de pilotage dispose d’un mini-manche latéral à faible débattement à droite et d’une manette des gaz à gauche. Obéissant au concept “Main sur Manche et Manette” (HOTAS), les commandes principales permettent la mise en œuvre de 21 fonctions.
En à peine 3 ans, le démonstrateur Rafale A réalise 460 vols aux mains de 25 pilotes différents
La qualification d’autant de pilotes constituant la preuve d’une très grande facilité de pilotage.
- 14 avril 1987 : 100e vol
- 30 octobre 1987 : 200e vol
- 21 juin 1988 : 300e vol
- 11 mai 1989 : 400e vol
- 12 juillet 1989 : 460e vol (mise en chantier M88)
- 27 février 1990 : 461e vol (et premier avec le M88)
En mai 1991, lorsque le Rafale C01 effectue son premier vol, le Rafale A totalise quant à lui 542 vols.
Ci-dessous, le démonstrateur Rafale A en vol. Observez le très faible débattement du manche du pilote et le travail des plans canard pendant les manœuvres (Durée 9:20).
1988 : création de l’équipe de marque Rafale
Dans sa fonction principale de conseiller de l’Etat-Major de l’Armée de l’Air, l’équipe de marque Rafale réalise différentes études et travaux. Ainsi, elle se charge de suivre les développements de l’avion, d’émettre des avis techniques sur la technologie employée lorsqu’elle a une incidence sur la mise en œuvre ou la maintenance. Par ailleurs, elle juge de l’opportunité des modifications proposées par l’architecte industriel.
Dans la phase de développement de l’avion, l’équipe de marque :
- Elabore l’expression du besoin technique opérationnel.
- Consulte et critique de manière constructive la documentation, afin que l’avion s’approche le plus possible de “l’avion rêvé” par les pilotes.
- Fait en sorte que les moyens nécessaires soient disponibles en même temps que le premier avion de série.
- Participe à la mise au point en vol et aux VAMON (Visites d’Aptitudes à la Mise en Œuvre et à la Maintenance).
A sa création, l’équipe de marque Rafale compte 14 personnes. 32 la composeront en 1991.
Le “gouffre à milliards“, le “sinistre industriel”
Le musée de l’Air et de l’Espace (depuis 2009)
L’appareil effectue son dernier vol le 24 janvier 1994 aux mains de Yves Kerhervé, après avoir réalisé 867 vols depuis juillet 1986. Il totalise 890 heures de vol réalisées par (au moins ?) 5 pilotes de chez Dassault, 1 de la SNECMA, 6 du CEV / DGA, 12 de l’Armée de l’Air et 6 de l’Aéronautique navale.
Un peu de lecture
Les 30 pilotes ayant volé sur le Rafale A
- Guy Mitaux-Maurouard
- Gérard Paqueron
- Yves Kerhervé (pilote d’essais de 1981 à 2007)
- Jacques Rosay
- Louis Éon
- (?) Floch
- Alain Roche
- Jean-Claude Blanvillain
- Louis Robert
- Jean-Georges Brévot
- Paul Habert
- Jean Frémond
- (?) Coeuret
- Richard Wilmot-Roussel
- Claude Martin
- Patrick Experton
- (?) Augias
- Alain Rabion
- Denis Gariel
- Jean Camus (équipe de marque)
- J.-P. Martin
- Gérard Le Bretton
- (?) Besombes
- (?) Gueguen
- (?) De Balmann
- Philippe Deleume
- (?) Juste
- Jean-Yves Bru
- Eric Delessalle
- Bruno Thouvenin
NDLR : nous nous excusons de ne pas avoir pu identifier correctement l’ensemble des pilotes. Si vous souhaitez apporter des précisions, n’hésitez pas à nous le faire savoir, ici.
Des pilotes, mais également des ingénieurs
Ils furent nombreux à participer à la conception du Rafale :
- Jean-Claude Hironde intègre Dassault en 1970 (Promotion SupAéro 1986). Il suivit le programme jusqu’en 2002 comme ingénieur en chef, puis directeur technique. Egalement, il prend part aux différents programmes Mirage F1 export et CR. Entre 2003 et 2007, il est directeur adjoint du programme Falcon 7X.
- Roger Théron (1926-2013) : chef mécanicien du Rafale. Engagé en qualité d’ajusteur en 1951, il travaille sur différents prototypes : Ouragan ou Mystère II.
- Jean-François Cazaubiel : directeur des essais en vol. Ingénieur de l’armement, il a consacré toute sa carrière aux essais en vol.
- Bernard Dubreuil : ingénieur d’essais. Il participe également aux programmes Mirage F1 et Mirage 2000.
Feu vert pour le Rafale D !
Le contrat de développement du Rafale D est signé le 20 avril 1988. Il porte initialement sur la fabrication de 5 prototypes de présérie : 2 monoplaces et un biplace pour les versions Armée de l’Air, ainsi que 2 monoplaces destinés à la Marine Nationale.
Le Rafale D, pour “discret” ne sera qu’une dénomination temporaire. En effet, elle disparaîtra courant 1990 au profit des versions B, C (Armée de l’Air) et M (Marine).
A l’époque (1989), les spécifications sont les suivantes :
- Envergure : 10,90 m – Longueur : 15,30 m – Hauteur : 5,34 m – Surface alaire : 46 m².
- Masse à vide entre 9060 et 9760 kg selon les versions.
- Capacité d’emport externe : 6 tonnes sur 14 points d’emports.
- Carburant interne : 4 tonnes.
- Masse maximale au décollage : 21,5 tonnes.
- Vitesse maximale : Mach 1,6 avec extension à Mach 1,8.
- Vitesse maximale en basse altitude : 600 nœuds en charge et 800 nœuds en configuration lisse.
- Limite de manœuvre : 16°/s en basse vitesse (200 nœuds).
- Rayon d’action : 1000 Nm en configuration air-air et 590 Nm en air-sol avec une phase de pénétration basse altitude.
- Distance de décollage : 400 m en configuration air-air et 600 m en air-sol.
- Ravitaillement en vol.
On estime alors que l’intégration des différents systèmes nécessitera pas moins de 4700 vols de développements. 3000 seront nécessaires pour les équipements et 1700 pour les fonctions. Les 5 prototypes devront réaliser près de 5000 heures de vol, de 1991 à 1998. Déjà se dessine la notion de “standard utilisateur” (SU) : SU0 pour prioriser la Marine, SU1 pour l’Armée de l’Air et SU2 en standard final.
Le seul marché français porte alors sur 25 Rafale biplaces, 225 monoplaces et 86 appareils pour la Marine Nationale …
Remerciements – NDLR
Merci à Stéphane Pinson et Pascal Merret pour leurs participations. J’adresse également mes vifs remerciements à Charles Gauchy et Jean-Pierre Mille pour la mise à disposition de leur archives et innombrables coupures de presse. Merci de m’avoir accordé une telle confiance. Sans vous, ces articles auraient manqué cruellement de contenu.
Bien entendu, fidèle à la “philosophie Omnirole-Rafale.com”, merci à tous mes contributeurs photos de m’aider à illustrer mes articles. D’ailleurs, si vous aussi avez des photos, ou si vous avez participé à l’aventure des prototypes Rafale, n’hésitez pas à me contacter !
Nécessaire précision : afin de rédiger les différents articles sur les prototypes Rafale, je me suis appuyé sur une vaste documentation. Je me suis donc permis de reproduire quelques photos provenant de livres ou revues aéronautiques de l’époque. Si toutefois les auteurs concernés par certaines publications s’opposaient à cette utilisation, je les invite à me contacter. Je retirerai alors les images à leur demande, ou ferai mention d’un copyright jusqu’ici inconnu. La plupart de ces livres et revues n’étant plus disponibles à la vente, j’ai volontairement souhaité en partager une infime partie avec des lecteurs moins chanceux de ne pas disposer d’une telle collection dans leur bibliothèque.
4 thoughts to “Le démonstrateur technologique Rafale A”
Bonjour
Merci pour votre article sur l’histoire du Rafale
Je n’arrive pas à visualiser les photos
Je cherche des photos de Louis Eon
Bonjour,
La seule photo de Louis EON dont je dispose se trouve sur cette page. Je n’en ai malheureusement pas d’autres.
Bonjour Philippe, merci pour cet article très interessant et très bien illustré 🙏🏻👏🏻
Merci, j’ai fait au mieux de mes connaissances