La Belgique défend son choix du F-35 face à la France.
Cette semaine, les tensions diplomatiques entre la France et la Belgique ressurgissent à l’occasion de la réception des trois(*) premiers F-35A par l’armée belge. Le ministre belge de la Défense, Theo Francken, profite de l’événement pour critiquer ouvertement le Rafale dans une série de déclarations et de partages polémiques sur les réseaux sociaux.
Photo de couverture © Belgian Air Force (Entraînement des Rafale français à Florennes en août 2025).
(*) Trois sur les quatre attendus. L’un d’entre eux étant tombé en panne aux Acores, lors du convoyage. L’épisode n’étant pas sans rappeler, les pannes survenues aux F-35B britanniques cet été en Inde et au japon.
Des critiques virulentes contre le Rafale
Dans une tribune publiée dans le quotidien flamand De Standaard, Joren Vermeersch, conseiller au cabinet de Francken, qualifie le Rafale de « plus coûteux et de qualité inférieure » par rapport au F-35 américain. L’article, relayé par Francken sur ses réseaux (avant d’être supprimé), dénonce la posture française comme celle d’un « village gaulois » isolé, refusant l’intégration européenne en matière de défense.
Francken va plus loin en affirmant que le F-35 est « l’avion européen du futur », citant les treize pays européens qui l’ont adopté. Il oppose cette dynamique à celle du Rafale, « vendu dans un seul pays », et critique la stratégie d’autonomie défendue par Paris.
Maladresses de Francken ? Le 21 juillet 2025 il refusait de dire « Vive la Belgique » le jour de la fête nationale.
F-35 vs Rafale : un duel stratégique
La Belgique commande 34 F-35A auprès de Lockheed Martin en 2018. La livraison des premiers appareils cette semaine est l’occasion pour Bruxelles de réaffirmer son choix, malgré les critiques françaises sur la dépendance aux États-Unis. Le Rafale, bien que reconnu pour ses performances en opérations, peine à convaincre certains partenaires européens. A ce jour, la Grèce, la Croatie et la Serbie ont néanmoins opté pour le Rafale.
Sur les 34 F-35 en commande, 8 stationneront aux Etats-Unis pour l’entrainement des pilotes. Compte tenu du MCO, la Belgique ne mettra finalement en œuvre qu’une douzaine d’appareils. A ce phénomène de « micro-flotte », la Belgique et les autres pays utilisateurs de F-35 prétendent une « mise en commun des forces » en cas de conflit, portant la flotte d’appareils à plus de 600 (hors MCO) en Europe (US Air Force in Europe incluse). Illusoire ? Possible, car même au sein de l’OTAN il est peu probable que les pays parviennent à s’entendre en cas de conflit. La preuve en est avec les difficiles décisions prises au niveau européen.
L’emprise politique du F-35 américain sur l’Europe
A terme, l’Europe mettra en œuvre environ 600 Lockheed Martin F-35. Leurs bases de stationnement seront :
- Royaume Uni (RAF Marham) : 38 F-35B en service et 10 en cours de livraison (l’engagement initial porte sur un total de 138 F-35B).
- Pay-Bas (Volkel, en 2022 et Leeuwarden) : 39 F-35A en service et 13 en cours de livraison.
- Italie (Amendola et Ghedi en 2022) : 24 exemplaires en service et 66 en commande (F-35A et F-35B).
- Norvège (Ørland et Evenes en 2022) : 52 F-35A en service.
- USAFE (RAF Lakenheath à partir de 2022) : 52 F-35A en service.
- Danemark (Skrydstrup, en 2023) : 21 F-35A en service et 6 F-35A en cours de livraison.
- Belgique (Florennes en 2025 et Kleine-Brogel en 2027) : 8 F-35A en service et 26 en commande.
- Pologne (Łask en 2026 et Świdwin) : 32 F-35A en commande.
- Finlande (Rovaniemi et Kuopio entre 2028 et 2030) : 64 F-35A en commande.
- Allemagne (Büchel en 2026) : 35 F-35A en commande.
- Suisse (Payerne, Meiringen et Emmen entre 2027 et 2030) : 36 F-35A en commande.
- République tchèque (2029) : 24 F-35A en commande.
- Grèce (Andravida en 2028) : 20 F-35A en commande.
- Roumanie (Fetesti etCâmpia Turzii 2030 +) : 32 F-35A (Letter of Acceptance)

Une stricte dépendance aux Etats-Unis
L’achat des F-35 belges n’a pas véritablement donné lieu à un appel d’offre. Qui plus est, il était impératif pour la Belgique que le successeur du F-16 puisse mettre en œuvre la bombe nucléaire tactique B-61. D’origine et sous stricte contrôle américain, l’emport de la B-61 obligeait de facto à choisir le F-35.
Le général Frederik Vansina explique l’absence d’appel d’offre : « On veut simplement pouvoir monter en puissance plus rapidement pour protéger la population ».
Egalement, l’achat de F-35 repose sur l’espoir d’une mise en commun de la flotte européenne. A ce titre, les fondements reposent sur l’article 5 de l’OTAN. Celui-ci stipule « qu’une attaque contre l’un des membres sera considérée comme une attaque contre tous ». Autrement dit, en cas d’agression d’un pays membre, les autres doivent de lui venir en aide, y compris par la force militaire. Cet article a été invoqué une seule fois dans l’histoire : après les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. Il ne déclenche pas automatiquement une guerre, mais ouvre la voie à une réponse coordonnée, adaptée à la nature de l’agression.
L’article 5 fait office de bouclier stratégique. Les membres de l’OTAN y voient une garantie de sécurité face à toute menace extérieure.
La Belgique, cliente de Dassault Aviation
Avant que Theo Francken ne cherche à jeter l’opprobre sur l’industrie aéronautique française, rappelons que la Belgique fut cliente de celle-ci.
La force aérienne belge exploite le Mirage 5 de 1970 à 1994, marquant une étape clé dans sa modernisation aérienne. Elle commande les avions en 1968 pour remplacer les F-84F. SABCA assemble localement les 106 Mirage 5, avec des équipements adaptés aux besoins de l’OTAN. Polyvalents et robustes, ils servent dans des missions d’interception, d’appui au sol et de reconnaissance, notamment au sein des escadrilles de Florennes et Kleine-Brogel. La Belgique retire les avions du service en 1995. Plusieurs exemplaires demeurent dans des musées ou exposés sur bases aériennes.

Un ministre crédible ?
Au delà des croyances politiques, on s’interrogera donc sur les conséquences des maladresses de Theo Francken. Un ministre, qui d’ailleurs, n’aura pas manqué d’afficher son admiration pour les solutions américaines, que ce soient les usines Lockheed Martin à Fort Worth, ou les géants de la Silicon Valley (Amazon, Google …) lors de sa visite aux Etats-Unis en octobre 2025. On peut alors s’interroger sur la portée des engagements européens portés par Bruxelles, d’ailleurs siège des institutions européennes …
Ceci étant, il conviendra de ne pas assimiler les actes de Theo Francken comme représentatifs du sentiment belge à l’égard de la France. En 2024, le volume d’échange de biens atteignait 97,8 milliards d’euros entre les deux pays. Si le domaine de l’aéronautique n’en fait pas essentiellement parti, agroalimentaire, matériel de transport et équipements industriels tirent leur épingle du jeu. A noter toutefois la présence du groupe Safran employant 1900 salariés en Belgique. Egalement, l’écosystème belge reste ouvert aux français, représentant 200 entreprises et 2,8 milliards d’euros.
Sur le plan militaire, la coopération franco-belge reste structurée. En témoignent le programme CaMo (Capacité Motorisée) visant à aligner les capacités des deux armées. Terre, air et mer font également l’objet d’accords bilatéraux, accords donnant lieu régulièrement à des entraînements entre Rafale français et F-16 belges. Bien que différents et bien que le F-35 soit peu communiquant avec d’autres avions de chasse, il n’en reste pas moins que Rafale et F-35 partagent déjà régulièrement des exercices de grande ampleur (Atlantic Trident, TLP …). Il devrait par conséquent en être toujours ainsi, une fois les F-35 belges déclarés opérationnels … tout en tenant compte également des évolutions à venir du Rafale qui en fait un avion de combat toujours à la pointe.