Charles Gauchy, intègre l’équipe de marque Rafale en 1988. Il se souvient …
(Photo ci-dessus : départ en mission pour le Rafale C01 en 1992).
Du Mirage III au Rafale
“Je me rappelle le 4 juillet 1986, j’écoutais avec attention sur mon autoradio le journaliste qui commentait le 1er vol du Rafale A. J’étais sur le pont de l’île de Ré et je disais au collègue qui m’accompagnait : « Tu vois Gilbert, j’aimerai par-dessus tout travailler un jour sur cet avion si il équipe l’Armée de l’Air un jour prochain ! ».
Deux ans après, début septembre 1988, mon rêve était exaucé. J’intégrais la formation des premiers éléments de l’équipe de marque Rafale au CEV de Brétigny sur Orge. Sergent Chef Gauchy Charles : spécialité 2111 mécanicien vecteur et cellule-hydraulique. Je laissais, derrière moi, mes 11 ans d’expérience acquise sur les Mirage III B, BE et E de l’Escadron de Chasse 1/13 “Artois” de Colmar et de l’Escadron de Chasse et de Transformation 2/2 “Côte d’or” de Dijon, au profit du Rafale.
Le bond technologique
Au-delà de mon souhait vertueux de découvrir et collaborer sur le programme d’un magnifique avion de nouvelle génération, je ne m’attendais pas à la montagne de travail qui m’attendait sur un plan technique et personnel. Je laissais le treillis kaki, le tournevis plat, le cruciforme et le stylobille, pour la tenue civile et l’ordinateur. D’ailleurs, je n’avais aucune connaissance en informatique !
Le choc, l’écart culturel et technologique, fût important mais pas insurmontable tant ma motivation était grande. Avec le statut de célibat géographique, j’entamais donc une drôle de vie pour me mettre au diapason. Avec ténacité et volonté, j’apprenais et digérais l’Annexe 3 « Les clauses techniques de l’ACT » (mon livre de chevet). Même chose pour le « Dossier de Définition de l’Avion de Série de Base » . Petit à petit j’assimilais les connaissances nécessaires et indispensables pour être un temps soi peu performant et crédible auprès de mes supérieurs hiérarchiques, des ingénieurs des bureaux d’études de DA ainsi que nos interlocuteurs de la DGA.
L’équipe de marque Rafale
L’expérience d’un collaborateur technique de l’Equipe de marque (intitulé officiellement : Conseiller Technique de l’Etat-Major de l’Armée de l’Air) est formidablement enrichissante sur de nombreux plans. Ce travail particulier vous pousse quotidiennement à vous surpasser. Vous acquérez toujours plus de connaissances techniques pour assurer la défense des intérêts des utilisateurs. Enfin, il s’agit également d’être techniquement crédible auprès de vos supérieurs et de vos interlocuteurs privilégiés industriels et étatiques.
Quand cette confiance est acquise et établie, on bénéficie d’une bonne écoute. On obtient aussi un certain respect, une liberté importante ainsi qu’une autonomie inconnue dans les forces en unité opérationnelle. Le travail au sein de l’Equipe de marque m’a fait progresser et évoluer dans de nombreux domaines. Cela m’a permis d’être efficace et serein sur l’ensemble de ma carrière après l’expérience du Rafale.
De nombreux combats techniques
Tout au long du développement de l’avion, plusieurs spécialités se heurtent à différentes problématiques. Des victoires, des compromis satisfaisants et des succès techniques indéniables aboutissent pour l’amélioration de la mise en œuvre et de la maintenabilité de l’aéronef. Toutes œuvrent avec un unique but : l’atteinte et le respect des objectifs techniques déclinés dans le cahier des charges.
La réussite effective de cet avion est avant tout le fruit d’un travail d’équipe collectif. Elle émane également d’une forte implication des équipiers et du travail personnel de chacun au profit de l’intérêt général.
A titre d’exemples :
- On peut mettre en œuvre un Rafale en 15 minutes avec un seul opérateur. En effet, nous avons centralisé, entre autres, toutes les informations de colmatage et de niveaux de fluide tous circuits confondus sur le tableau de remplissage. Il n’y a pas de multiples trappes de visite à ouvrir.
- Le pilote peut, après avoir subit une petite formation, repartir seul sans assistance et sans moyens de servitude. Il est autonome.
- L’échange d’un réacteur M88, validation comprise, est réalisable en moins d’une demi-journée avec une équipe performante.
- Un important travail optimise les systèmes de fixation et d’aménagement dans les soutes et compartiments afin de limiter les déposes connexes et ainsi diminuer les durées d’intervention et de dépannage.
- Enfin, des gains de fiabilité des équipements par rapport aux générations précédentes ont été obtenus.
Une méthode simple, rationnelle et objective
J’évoquerai, pour le fun, ces quelques anecdotes qui m’ont valu des débats houleux :
- J’ai une part de responsabilité totalement assumée dans le refus d’une charnière intégrée (de 17 à 20 kg si mes souvenirs sont bons) à l’avion pour la maintenance du radar.
- De même pour l’échelle électrique de perroquet intégrée à l’instar de l’avion marin. Grand débat avec certains pilotes : avorter un vol et par conséquent une mission parce que l’échelle ne rentre pas, c’est ballot !
- Même chose concernant le refus de trappes de visite dans les manches à air pour passer un périscope afin de valider la RM1(*).
Sur ces trois points, j’ai appliqué une méthode simple, rationnelle et objective en faisant l’analyse exhaustive et le bilan des avantages et inconvénients techniques, opérationnels, de masse, de coût, de mise en œuvre et de maintenance.
Tout d’abord, je ne fais pas voler les moyens de servitude embarqués. Ce sont des kilos superflus et non indispensables à la mission. Par ailleurs, cela vieillit mal en général et c’est cher en termes de maintenance et de temps de travail. Avoir l’obligation de s’équiper à coût onéreux de matériels de servitude et de soutien sophistiqués, c’est une gabegie !
Exemple : pourquoi vouloir utiliser un périscope pour valider l’absence d’impacts sur les aubes du compresseur ? En fin de compte, un opérateur peut inspecter sans difficulté et sans ambiguïté la manche à air et le compresseur.
Des milliers de modifications
En fait, je crois pouvoir dire sans trahir mes anciens coéquipiers que pour intégrer une équipe de marque et s’y épanouir, il faut être loyal, efficace, pragmatique, motivé, persuasif, tenace, avoir du tempérament voire du caractère, être disponible, avoir de l’humour et de la persévérance, et bien entendu être adaptable à son environnement (la qualité 1ère d’un militaire selon moi)… (rire).
J’espère que les pilotes, les opérateurs et les techniciens qui œuvrent quotidiennement sur le Rafale au sein de l’Armée de l’Air sont satisfaits et heureux de travailler sur cet aéronef qui a fait l’objet, en amont de sa mise en service opérationnelle, de milliers de modifications ayant pour but constant d’améliorer sa mise en œuvre et sa maintenance.
Aucun programme n’avait bénéficié auparavant d’une mise en place aussi précoce de spécialistes de l’armée de l’air au stade du développement d’un nouvel avion de chasse.
Pour conclure, j’ai rencontré au sein de l’équipe de marque Rafale, des hommes à la personnalité affirmée, des gens formidables, officiers, sous-officiers, civils, marins, etc. Nous avons tous laissé quelque part sur ce très bel avion performant notre petite pierre à l’édifice dans les systèmes qui nous incombaient. Pour ma part, c’est ce qui me semble le plus important et qui m’émeut lorsque je vois le Rafale évoluer dans les airs lors des meetings aériens ou autres démonstrations.”
NDLR
(*) RM1 : Roue Mobile du 1er étage du compresseur basse pression du réacteur M88.
Remerciement
Déjà très actif à la rédaction de mes articles sur les prototypes Rafale, je tiens une nouvelle fois à remercier Charles pour sa participation. Merci d’avoir bien voulu partager avec nos lecteurs cette page unique de l’histoire de l’aéronautique française.
Si vous aussi, vous avez vécu cette aventure et souhaitez la partager avec nos lecteurs, n’hésitez pas à me contacter.
Photos © Via Charles Gauchy.